Quelle meilleure façon de présenter l’ASMA que de faire appel au témoignage de Carole et Gilles, restaurateurs d’une maison alsacienne à Engwiller (Bas-Rhin). Leur page Facebook très poétiquement intitulée « Glycines et colombage » alimente un journal de bord commencé dès l’achat de la maison en 2019 et qui probablement ne s’achèvera pas à l’été 2021, date prévue de leur installation, car les projets dépassent ceux d’une simple résidence principale.
« C’était mon rêve de jeunesse de restaurer une maison alsacienne » (Carole)
Ce projet est celui de l’histoire d’une maison, la doyenne du village, datée de 1719 connue sous le nom de ‘s Weileschnieder’s celle d’un maître tailleur Johann Philipp Weil (1786-1804) remaniée après la seconde guerre mondiale : au rez-de-chaussée, un appareillage en pierre remplaçant des colombages et des tuiles mécaniques en lieu et place des Biberschwanz1 . La rencontre avec nos restaurateurs est celle d’un projet mûri depuis l’enfance. Ils ont en commun le Bauwurm, l’esprit bâtisseur consolidé pour Gilles par sa formation de maçon, née peut-être dans la maison de sa grand-mère à Seebach. Carole, quant à elle, sociologue de formation, a rencontré Gilles sur le chantier de restauration du château de Schoeneck.
« L ASMA nous a beaucoup aidés » (Carole)
C’est peu dire également qu’ils ont trouvé en eux d’immenses ressources, idées et contribué réciproquement à mieux faire connaître l’ASMA. Au travers de leur expérience, on peut relever qu’ils se sont adressés au CAUE du Bas Rhin, pour bénéficier de l’aide de l’architecte conseil dans le bâti ancien sans pouvoir bénéficier du « dispositif départemental de sauvegarde et de valorisation de l’habitat patrimonial » auquel la commune n’avait pas souscrit. D’autre part, la commune étant en périphérie du Parc régional des Vosges du Nord, l’aide du Parc s’est limitée à la participation au stage « éco rénovation ». En janvier 2020, contact est pris pour obtenir un label Fondation du patrimoine en vue notamment d’une future ouverture de chambre d’hôtes, il recueille l’avis favorable de l’ABF Nord Alsace Sandu Hangan. Puis, une souscription a été lancée pour obtenir 16 000 €, contribution à une restauration estimée pour un coût total de 80 000 €. Le choix de la Fondation du patrimoine concerne autant la maison que son emplacement sur cette très belle place de village.
« Le Stammtisch : il vaut mieux arriver à l’heure pour être sûr de trouver une place » (Carole)
Gilles et Carole se sont rendus aux Stammtisch de l’ASMA. Étymologiquement, il s’agit d’une tablée traditionnelle dans un restaurant qui permet aux habitués de se retrouver autour d’une bière pour discuter ou s’amuser. Mais ici, c’est du sérieux : les candidats sont invités à apporter sur clé USB leurs photos extérieures-intérieures, plans, vidéos et toutes les questions se rapportant à la restauration d’une maison traditionnelle. Les conseils2 sont apportés par l’animateur et vice-président Denis Elbel, des architectes, des artisans adhérents à l’association, mais c’est entre pairs que la synergie s’établit le plus rapidement, c’est-à-dire entre les autres porteurs de projets lancés eux-aussi dans l’auto-construction. Nos restaurateurs s’y sont rendus à quatre reprises, en phase étroite avec l’avancée de leurs travaux et disent avoir bénéficié d’un maximum de conseils. L’ASMA offre aussi aux nouveaux adhérents une visite conseil, celle-ci a été assurée par François Liermann pour un projet à la fois patrimonial et d’éco-rénovation.
L’ASMA propose aussi des formations suivies par les amateurs dont l’une porte sur la fabrication du torchis animée par Emy Galliot (Architecte DE - DSA Architectures de Terre). Du cours à l’application, il n’y avait qu’un pas à franchir, ce qui fut fait. Carole et Gilles ne sont pas peu fiers de raconter que la récupération du torchis des plafonds, réhumidifié et foulé au pied, a permis de garnir les miroirs du rez-de-chaussée de deux pignons ! Ils n’ont eu que le regret de ne pouvoir suivre la formation « enduit » annulée en raison du confinement.
Les artisans locaux sont les plus à même de donner les conseils pertinents
Dans cette liste établie par l’ASMA, Carole et Gilles ont pu s’adresser à l’entreprise Brenner d’Alteckendorf. Une discussion préalable avait persuadé les restaurateurs de l’intérêt de rétablir le pignon à colombage, même si Gilles avait de bonnes idées sur la réparation du mur en pierre. Les appels aux entreprises Seené pour la menuiserie et l’entreprise de zinguerie Wiedemann ont également emporté l’adhésion des restaurateurs. Pour la porte cintrée de la cave très en vue, c’est le talent de Jean Rapp qui retravaille les bois anciens qui est convoqué. Mais sur ce chantier, une part très importante est réservée à l’auto-construction à commencer par l’évacuation du plâtre (huit bennes de 8m2). Par ailleurs, l’appel a été lancé auprès de bénévoles très volontaires disposés à poser du torchis dans le cadre d’un chantier participatif.
Toutes les occasions ont été saisies : l’aide du voisin, notamment Charles Henri Rilliard, expert en maisons alsaciennes et membre de l’ASMA. Le cercle vertueux s’est élargi par les visites d’autres chantiers en cours et Carole précise qu’ils ont « pu glaner des idées, profiter de la réflexion menée par d’autres ».
Une démarche participative novatrice intimement liée à l’histoire de l’ASMA
Les « Stammtisch » de l’ASMA représentent, pour les architectes des bâtiments de France de la région, un important relai de sensibilisation et d’accompagnement des porteurs de projet de restauration, surtout des particuliers mais également des élus. Nous conseillons très souvent de participer à ces ateliers de partage d’expériences entre maîtres d’ouvrage. Ils permettent de montrer de bons exemples, de lever certaines peurs et mettent en relation différents spécialistes, artisans et architectes. Ces ateliers, réalisés dans des restaurants, ont, en plus, l’originalité de réinterpréter une tradition locale de rencontre et de convivialité et ils participent ainsi à la préservation d’une forme de patrimoine immatériel. Malory Chéry, ABF, UDAP 67.
L’ASMA a été créée dans le sillage du courant régionaliste des années 1970. À cette date, les maisons alsaciennes disparaissaient en nombre et un ouvrage intitulé « N’abimons pas l’Alsace » préfacé par le préfet de région appelait déjà à la mobilisation. Les premiers adhérents ont été initiés à l’architecture vernaculaire par le conservateur du Musée alsacien en personne, Georges Klein, membre fondateur de l’association et ont participé sur le terrain à des sauvetages de maisons alsaciennes. Les destructions sont toujours estimées à deux cents, trois cents maisons par an et l’action est loin d’être épuisée. Les Stammtisch mensuels ont été introduits dans le Bas-Rhin et, forte du succès rencontré, la formule a été transférée dans le Haut-Rhin. Puis, une solution originale a été imaginée avec des rencontres chez des particuliers ou, deux fois par an, à l’invitation de municipalités intéressées par la démarche, les dernières en date étant Holtzheim, Langensoultzbach et Duntzenheim.
Une communication active et offensive
La présence fréquente sur les ondes locales, de nombreux articles dans les DNA, le site Facebook « les amis de l’ASMA » qui sert de plateforme d’échange entre les followers (2 500 dans le « groupe » des amis et 8 900 inscrits sur la page Facebook de l’ASMA), une newsletter bimestrielle et un bulletin annuel ajoutent au « savoir-faire » de l’ASMA, l’indispensable « faire savoir ». Des partenariats avec d’autres associations, telles que Maisons Paysannes de France, la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace et le Parc de la Maison Alsacienne de Reichstett permettent de diffuser largement nos actions.
Veiller aux démolitions et repérer le patrimoine dans le cadre des PLUI.
À cette fin, les sentinelles de l’ASMA, au travers d’un véritable maillage territorial, repèrent les permis de démolir des maisons alsaciennes et, après enquête, l’ASMA engage des actions. Le réseau Facebook est ici très opératoire et sert à signaler rapidement les permis de démolir, alors que dans le passé, l’ASMA répondait à des appels téléphoniques qui arrivaient parfois après le délai d’intervention. Le repérage du patrimoine, se fait dans le cadre des PLUI qui ont remplacé les POS qui prévoyaient un simple zonage. La loi SRU solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000 fixe obligatoirement les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols, assorties d’un diagnostic qui prend en compte les prévisions économiques et démographiques.
Les commissions d’enquête3
recommandent de se tourner, vers les associations de défense du patrimoine pour aider les communes à réaliser l’inventaire. Armé du règlement graphique (le plan), les membres de l’association prennent l’attache du maire et des élus chargés de l’urbanisme, étudient le bien-fondé de la typologie et le repérage de ce qui ne peut être démoli ou, cas échéant, reconstruit selon une volumétrie comparable selon l’article 2.6 UA du PLUI prescrivant de « ne pas porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Le temps consacré à ces nombreux repérages, le dialogue ouvert et la fréquence de ces rencontres ont permis d’installer un climat de confiance entre les élus et l’association et de signer une convention entre une intercommunalité et l’ASMA. Certains élus ont d’ailleurs mesuré l’intérêt de la prévention plutôt que le sauvetage en catastrophe d’un bâtiment qui fait l’intérêt patrimonial de leur commune.
Bilan 2019 :
Stammtisch Haut-Rhin : fréquence tous les deux mois impairs, le 4e mardi du mois ) 18h soit cinq fois par an au restaurant de la Couronne, à Ensisheim (autre lieu à trouver). Sept membres de l’ASMA, douze participants en moyenne, et six à sept projets présentés…
Stammtisch Bas-Rhin : fréquence tous les mois, excepté en été, soit dix fois par an au restaurant Le Cerf d’Or à Strasbourg. Deux Stammtisch délocalisés à Holtzheim en juin, à Langensoultzbach en octobre (soixante participants) ; quatre cents participants sur l’année.
Un sauvetage raisonné plutôt que la démolition, au bilan écologique désastreux
Les objectifs de l’ASMA ne sont en rien passéistes ; ils n’excluent pas le recours à l’architecture contemporaine. Ils visent à défendre « le patrimoine bâti en Alsace ainsi que son environnement, ses sites et ses paysages ». L’association milite pour une seconde vie du patrimoine et, autant que faire se peut, une requalification fonctionnelle. L’association a bénéficié dès les débuts du soutien d’élus et maires pionniers et, à l’encontre des propos tenus par certains détracteurs, n’entretient pas des relations de défiance avec les élus et souhaite, tout au contraire, établir une collaboration fructueuse avec eux. Le nombre croissant de communes adhérentes à l’association et le nombre de vœux envoyés par les élus cette année en attestent largement. On ne peut, en conclusion « last but not least », que mentionner le soutien actif et ardent qui nous a été apporté par Stéphane Bern en charge de la Mission Patrimoine qui lui a été confiée par le président de la République
- Tuiles plates traditionnelles en queue de castor ↩
- En termes de structure, humidité, isolation thermique et phonique, couverture, menuiserie, entretien ↩
- Le projet de PLUI est soumis par le maire à une enquête publique pendant un mois. Le président du tribunal administratif désigne un commissaire enquêteur qui recueille dans un registre d’enquête publique toutes les observations, propositions ou questions du public. Après clôture de l’enquête, il rédige un rapport et motive ses conclusions. ↩